20/02/2019
Sa voie. Hommage à Maureen Forrester
Une énième et incomptable réécoute de l' enregistrement sublime
de la Rhapsodie de Brahms pour contralto et choeur d'hommes
par Maureen Forrester
me donne la plus belle des raisons de republier ce texte .
Certains connaissent cette nouvelle, elle sera peut être découverte pour d'autres,
et elle sera la dernière publiée ici.
Un chant d'adieu . Une page de regrets
un peu de la voix de Maureen Forrester dans
La version de la Rhapsodie pour choeur
d'hommes et contralto de Brahms, enfin
debusquée . Ça craque mais quelle beauté
quelle émotion.
En hommage à Maureen Forrester 1930 / 2010
disparue discrètement en 2010

*
La vallée s’étirait sur des kilomètres sinueux,
allait en se rétrécissant puis brutalement,
au détour d’un angle aigu de la route,
s’élargissait en un vaste cirque crénelé de sommets.

Maïté ne connaissait rien d’autre que la vallée.
Née ici, grandette, puis jeunesse,
toujours là, elle y avait appris à lire avec monsieur Raymond
dans la classe unique de l’unique école .

Puis, elle fréquenta à 22 kilomètres
le collège où elle se rendait par l’autocar régional.
Quatre années là bas, et quand elle passa le brevet,
il fut décrété que pour elle, seule fille
d’une fratrie de six enfants, cela suffirait.
D’ailleurs, le travail l’attendait,
garé dans la grange principale de la ferme.
Son père avait acquis depuis plus de 5 ans une camionnette sur laquelle
reposaient tous ses espoirs.
La fille se mit au travail de la ferme, mais c’était du provisoire.
Son destin était ailleurs.
Maïté devait tout d’abord passer son permis de conduire,
c’était la première étape du plan paternel.
Avant dix-huit ans, elle savait déjà conduire, le père l’avait bien initiée,
les frères aînés avaient à tour de rôle entraîné la cadette
qui obtint du premier coup le fameux et indispensable document rose.
Le plan paternel pouvait se poursuivre.
Après le permis, il fallut au père acquérir
une licence commerciale au nom de Maïté;
tout était prévu, et bien prévu.
C’est ainsi,
que en mai, quatre mois après son dix-huitième anniversaire,
Maïté se retrouva au volant de la camionnette,
dont le hayon arrière s’ouvrait sur le trésor :
une épicerie ambulante
dont le père avait depuis bien longtemps
jaugé et jugé l’indispensable présence à la survie de la vallée.
Et Maïté commença ses tournées, de villages en lieux dits,
de fermes en métairies,
montant jusque dans les contreforts de la montagne pour apporter,
qui le pain,
qui le journal,
ouvrant aux quatre vents sa caverne aux chalands
pour qui sa visite était parfois la seule de la semaine.

Très vite ,Maïté se transforma en dame de la Poste
remportant des lettres, de menus paquets,
puis se fut le tour des ordonnances
dont elle ramenait les médicaments
après avoir fait le plein à la pharmacie d’en bas.
*
*
Le père mourut, puis la mère, les frères se dispersèrent,
seul Fernand resta à la ferme, accroché à sa vallée,
tout comme sa sœur dont il partageait l’existence.
Tout ceci n’avait rien que de très banal, mais Maïté se prit au jeu
et elle comprit vite qu’elle ne ferait jamais rien d’autre de sa vie…
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Frère Thibaut avait passé un quart de siècle
dans le silence et la prière.
Quand la maladie le contraignit à quitter
le recueillement de son abbaye pour soigner une tuberculose,
il ne pouvait envisager que ce départ serait définitif.
Quatre années de soins, de cures, de sanatorium,
mirent à mal sa vocation, mais pas sa foi.
A la fin de ce long séjour au désert, Frère Thibaut redevint Jacques,
et le hasard le conduisit dans la vallée.
Elle le séduisit, par son aspect sauvage, qui inclinait à la méditation,
à la réflexion, tant religieuse que philosophique, et Jacques devint l’ermite des lieux.
Il s’installa dans une ancienne gare désaffectée
après avoir obtenu de la SNCF
le droit de jouir des lieux pour 99 ans
comme une concession de cimetière.
*
*
Pas d’eau, pas d’électricité, pas de chauffage,
si ce n’est la cheminée,
qui avait servi pendant des lustres à réchauffer les voyageurs
qui empruntaient la voie
depuis bien longtemps fermée.
Jacques allait couper son bois,
le ramenait comme un portefaix, vivait de cueillette
et du lait de ses deux chèvres.
Parfois, quelqu’un déposait devant l’ancienne gare
un lapin,
une palombe ensanglantée,
quelques noix, et même,
les jours de grand froid,
du pain,
tendre et odorant
que Jacques humait et caressait de ses doigts gourds.
Il avait remarqué la camionnette de Maïté.
Bien sûr, elle ne s’arrêtait guère à l’ermitage.
Chacun respectait l’humble retraite de cet homme énigmatique,
dont on ignorait le passé.
Pourtant un jour, ...curiosité ?
Inquiétude devant la porte close
depuis plusieurs jours ?
Maïté gara son engin devant la gare.
Elle fit le tour, rien ne bougeait.
Après avoir légèrement frappé,
et ne recevant aucun écho, elle osa pousser la porte.
Le feu éteint depuis peu
rendait la pièce davantage froide et humide.
Jacques,
couché par terre sous une couverture militaire,
blanc et ruisselant toussait,
arrachait sa poitrine creuse de violentes quintes.
*
*
L’histoire se finit mieux
que l’on aurait pu le redouter.
Une pneumonie,
jugulée par un traitement de cheval remit l’ermite sur pied.
A partir de ce jour, Maïté s’arrêta à la gare.
Elle avait toujours un fruit,
un peu de fromage, mais rien de plus . Jacques avait précisé
dès le début de leur amitié qu’il restait ce qu’il était.
Elle respecta,
et son vouloir,
et sa solitude.
Elle laissait la camionnette assez loin.
Elle passait,
discrètement montrait le bout de son nez
et s’annonçait toujours par un trait de chant.
C’est ainsi que Jacques
eut le privilège d’entendre le premier la voix de Maïté.
Une voix sans fioritures ni artifices.
Une voix de contralto,
si chaude, si enveloppante,
si miraculeuse et si rare
que Jacques ne put que s’en émouvoir.
Les rencontres avec Maïté furent immédiatement
pour Jacques le prétexte à tester
les capacités de la jeune femme.
Elle avait 25 ans,
l’âge du début de la maturité de la voix,
l’âge où le travail peut débuter
pour que la pierre brute devienne un joyau.
Maïté chantait comme on respire,
elle chantait des airs de son pays,
des airs tout simples
mais que naturellement elle agrémentait,
y incluant des variations, des modulations.
Elle chantait des psaumes luthériens
qu’elle avait toujours entendus au culte,
elle chantait des niaiseries diffusées à la radio,
mais d’une manière si riche, si personnelle,
que les fadaises devenaient précieux ouvrages.
Jacques ne pouvait laisser Maïté dans l’ignorance de ses dons,
dans l’ignorance du travail du chant qu’elle devait accomplir.
Le don reçu se devait d’être exploité.
C’était pour Jacques à la fois une évidence, et une obligation.
Le miracle eut donc lieu.
Frère Thibaut renoua avec d’anciennes relations
depuis bien longtemps sorties de son existence.
Il écrivit à un ami d’adolescence
qui avait fait une brillante carrière de concertiste
et de professeur de piano
au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris.
Il parla de Maïté avec chaleur,
avec l’enthousiasme des connaisseurs,
les mots choisis, la perspective de l’avenir d’une voix.
Un jour, Maïté annonça à Fernand qu’elle partait pour Paris.
Elle abandonna la camionnette
aux mains de son frère, lui confia ses habitués,
leurs manies, leurs petits désirs.
Elle s'embarqua, le cœur serré et la peur au ventre.
Chanter n’avait jamais été pour elle rien d’autre qu’un plaisir solitaire.
Elle ignorait tout de la musique,
si ce n’est les psaumes luthériens qui toujours revenaient.
Guidée par l’ami de Jacques,
recommandée à un professeur du Conservatoire,
elle commença le lent,
long et douloureux travail de la voix, apprit à respirer,
à faire sortir sa voix de son cerveau.
Des années durant, elle travailla jusqu’au vertige.
*
*
Elle apprit à écouter, elle découvrit,
elle assista à des classes de maîtres à l’étranger,
où elle s'enrichit encore et encore au côté de ces Illustres,
ouvrit son coeur et ses dons à la Musique,
se mit à la langue allemande pour aborder le répertoire,
passa des concours, et des concours...
Sa voix prenait de l’ampleur, s’arrondissait
et se creusait encore davantage dans des graves abyssaux.
Elle comprit qu’en elle se cachait une perle,
mais qu’elle en était redevable aux autres.
******
Ce soir,
Maïté chantait à Londres des lieder de Gustav Mahler,
mais surtout elle interprétait la Rhapsodie
pour chœur d’hommes et contralto de Brahms.
Son timbre fit frémir les échines,
émut les âmes jusqu’aux larmes,
combla les cœurs, servit Brahms
et la Musique au plus au point,
et s’envola bien loin du Royal Albert Hall,
tout là bas, vers la vallée vers la petite gare désaffectée
où Jacques percevait les échos de la voix du miracle.
*
Pau, le 21 octobre 2007
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10/12/2018
Sur la plage abandonnée...
Seuls au monde, au long des rives douce
Heureux privilégiés de décembre au bord du bassin.
07:06 Publié dans .... de familiae vita, actu, Aquitaine et Grand Sud Ouest, Arcachon, Automne 2018, Dire l'Amour , Autour du coeur..., Environnement, nature, Gironde, Marcher, Mes amours musicales, Mon bassin, Musique pour le jour et la nuit, Objectif et grands formats, Océan et mer, Passions | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : arcachon, hors saison, bassin, plage joigny, décembre, privilégiés, trio avec piano, brahms
21/06/2018
Retour vers 1983 , 21 juin Fête de la Musique à Paris
En ce soir de l'été 1983, Paris porte une tenue grisée mais douce
agrémentée d'un vent qui promet déjà de forcir.
C'est donc le 21 juin, jour de l'été,
choisi depuis l'année précédente pour célébrer la Musique
partout en France . 1983, année de lumière et de bonheur.
Partis de la place de l'Europe, nous descendons vers le
centre de la ville pour une grande balade nocturne à la rencontre
de la fête.
De Saint Lazare à l'Opéra, rien.
Les rues sont désespérément calmes , pas une note, pas un son
qui sortirait des appartements, pas d'instruments , point de gens.
Où sont donc les Parisiens?
Où est donc la fête annoncée?
Plus nous nous rapprochons de la place de l'Opéra, plus nous
sentons que quelque chose se passe, que quelque chose se serait
concentré au cœur même de Paris, au Temple de la Musique et
de la Danse.
Lieu magique et somptueux , ce soir désacralisé.
En haut des marches du Palais Garnier, une gigantesque sono
crache ses décibels dans la nuit maintenant tombée.
Musique brésilienne: la foule écoute , mais ne participe pas.
Levant les yeux, nous découvrons les machinistes de l'Opéra en
bleu de travail jambes ballantes dans le vide, assis en rang
d'oignon au bord du toit, entre les statues.
Soudain un homme sort de la foule, se met à danser sans
retenue, symbole de la fête libérée et retrouvée.
Il danse à contre temps, ne se soucie de rien, ne voit rien, fou
de bonheur, de rythme, ivre de décibels .
A son tour, une grande fille rousse dégingandée quitte les rangs
sages, et le rejoint.
Étonnant contraste entre le cercle immobile et ces corps pulsés,
bousculés par la batterie.
En eux la musique, et la fête éclate pour de bon, spontannée,
libérée, loin encore des institutions qui la muselleront à l'avenir:
elle se propage dans les corps et les cœurs.
Nous quittons la place de l'Opéra livrée maintenant à la danse,
les oreilles vibrantes, nous rejoignions le Palais Royal.
Parfois, à l'angle de deux rues, un jeune, un couple, harmonica,
tambour, guitare, ocarina, chacun à sa manière célèbre sa fête.
Paris s'émaille de sons échappés dans la nuit.
Palais royal : lumières et colonnade, éclair pour l'œil, explosion
pour l'oreille.
L'Orchestre de la Garde républicaine , éclatant de cuivres polis,
sanglé dans les uniformes de parade, fait claquer l'ouverture de
« Carmen » ; les enfants hurlent de joie ,
pas question d'écoute religieuse, mais une participation
bondissante et libérée, corps et âmes, à tout ce qu'offre cette
nuit.
Saint Roch,
les portes ouvertes , déverse des flots
d'orgue triomphal.
Le vent s'est levé pour de bon, chargé des poussières
de la ville , des sons démultipliés se heurtent, s'entrechoquent ,
tournoient se marient et se dispersent.
Une clarinette solitaire perce la nuit ; nous en suivons le ruban
mélodique et pénétrons dans les Jardins des Tuileries.
Du sable soulevé par les bourrasques tièdes s'engouffre dans
les allées labyrinthiques.
La musique nous guide.
Assis sur un banc de pierre, un homme joue, seul.
A ses pieds , un radio - cassette diffuse la partie quatuor du
quintette avec clarinette de Brahms;
il joue, pour lui, pour Brahms, pour la Musique,
il joue sans nous voir, les yeux clos,
tout entier immergé dans l'œuvre somptueuse,
sa clarinette emplit l'espace des jardins.
Ce 21 juin 1983 , sa contribution à la Musique s'ancre à tout
jamais dans ma mémoire.
Une larme de joie roule sur ma joue, je suis bien.
La musique,
ce n'est pas que le 21 juin, elle m'accompagne chaque jour,
chaque heure , peut être n'en ai-je jamais écouté comme ces
derniers mois, et ne me demandez pas, à la manière de
Françoise Sagan si j'aime Brahms ...!
Mais je ne sais pas encore que ce sera le seul 21 juin à
m'apporter ce bonheur indicible.
14:58 Publié dans actu, Anthologie personnelle de la poésie, Cadeau, Dire l'Amour , Autour du coeur..., Été 2018, Histoire de l'Art, peinture,danse,sculpture,archit, Mes amours musicales, Musique pour le jour et la nuit, Nouvelles et écrits personnels protégés par la loi, PARIS, Passions, Vidéo | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : paris, fête de la musique, opéra, palais royal, carmen, jardin des tuileries, brahms, quintette avec clarinette, passion, musique, musique de chambre, fête, institution
08/05/2018
D'autres 7 mai, 1824, 1833
Un des très grands moments pour la Musique. Un tournant.
Vienne, 7 mai 1824,
Beethoven, devenu totalement sourd, co -dirige sa 9 ème et
ultime symphonie.
Un triomphe, qu'il n'entend pas, pas davantage les
applaudissements , les acclamations et les cris d'enthousiasme .
Mais , comme il entendait dans sa tête ses oeuvres , il entend le
public en son coeur.
Dédiée à l'empereur Frédéric-Guillaume III de Prusse, cette
symphonie en ré mineur est un aboutissement , Beethoven ayant
commencé à l'envisager dès 1812.
4 mouvements pour grand orchestre, solo et choeur mixte.
On connaît tous le dernier mouvement, 25 minutes, avec
intervention des solistes et choeur, sur un poème de Schiller,
L'Ode à la Joie, devenue l'Hymne Européen.
Hommage à Beethoven dans Mala Stana où il vécut, à Prague .
Et un clin d'oeil amical , un grand merci à Jérémie Rousseau et à
mon émission culte depuis...plus de 45 ans , temps de ma folle
jeunesse,
La Tribune des Critiques de Disques,
fondée en 1946 par Armand Panigel et Jean Roy , doyenne des
émissions de radio dont on a fêté les 70 ans en 2016.
Je vous parlerai bientôt de l'émission du dimanche 6 mai .
Autre 7 mai, 1833,
naissance de Johannes Brahms à Hambourg
Encore un de mes amours ,
15:13 Publié dans actu, Grande Histoire et petites histoires, Mémoire., Mes amours musicales, Musique pour le jour et la nuit, Passions, Personnalités d'exception, Printemps 2018, Vive la radio | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : beethoven, 9ème symphonie, creation, 7 mai 1824, schiller, vienne, ode à la joie, la tribune des critiques de disques, jérémie rousseau, brahms, rapsodie pour contralto, murray perahia, kathleen ferrier